20.11.10

Dialogue avec moi-même

Ce n'est ni l'envie, ni l'inspiration qui me pousse à revenir ici, plutôt une promesse personnelle, un espèce de devoir de mémoire pour moi-même.

Tenir ce blog jusqu'à la fin de mon "parcours", de cette "transition" débutée il y a 5 ans, jusqu'à ce que je tienne dans mes mains de nouveaux papiers d'identité.

J'ai d'ailleurs pensé à attendre ce moment pour écrire la page finale, mais ça ressemble à quoi de laisser plus d'un an de black out, comme ça ?


- Mais déjà pourquoi avoir déserté pendant tout ce temps ?


Sans raison particulière. J'écrivais déjà de moins en moins, et ma vie continuait dans ce sens, de moins en moins intéressante du point de vue de ce blog. Les rares fois où une anecdote aurait eu du sens, et apporté de la nouveauté, cela me semblait... indécent, à publier. Au sens propre comme au figuré: déplacé, mal venu d'étaler les détails de ma vie intime ici. Il y a eu l'épisode du Cap Vert, mes problèmes de passeport, mais j'ai été emporté dans un tel tourbillon par la suite que j'en ai oublié de le raconter. Et ce voyage m'a apporté tant d'autres souvenirs que je ne suis pas revenu là dessus.


- En résumé tu censures ce qu'il a de plus intéressant et tu oublies le reste. Reste que par rapport à ta transition, il y avait quelque chose d'essentiel tout de même qui reste en suspens: tes papiers ? Tu n'attends que ça, on sait, mais concrètement, ça en est où ? T'as une avocate, t'as monté un dossier, pourquoi ne pas raconter tout ça ?


Mon audience aura lieu le 30 novembre, au tribunal de Nanterre. Comment dire ? Toute cette partie, le côté administratif du parcours trans, me fait déjà tellement, infiniment chier en soi que je n'ai pas ressenti le besoin d'en tartiner 3 pages en sus. Globalement, monter le dossier a pris une éternité. Réunir les papiers, les attestations, les photos, en discuter avec l'avocate, retirer ceci, expliquer cela. Rien que ma biographie m'a pris un mois. Un mois de flemme de m'y coller.

En vérité, je l'ai pondu en une nuit, en bricolant autour des idées centrales que je devais aborder selon l'avocate, grappillant ici ou là quelques phrases dans ce blog. J'ai même récupérer un passage qui n'est pas de moi. Tiens, puisque j'en parle, elle pourrait avoir sa place ici, non ? Bien sûr, il faut préciser, "d'après la vie ou les réelles opinions d'Eric C.", parce que il y a quand même quelques léchages de bottes, quelques tournures qui disent "regardez moi, m'sieur dame, je suis un bon petit trans, hétérosexuel et travailleur, avec une éducation catholique de surcroît".

Bref, le dossier était finalement plié au printemps dernier, j'ai eu une audience mi-octobre reportée pour non disponibilité de mon avocate, alors dans douze jours, inch'allah... Je pourrais me mettre à attendre le jugement.


- On touche du bois. Et au final cette année, tu nous la fait en ordre chronologique, par thème, par anecdotes ?


La première option, j'ai besoin d'un fil conducteur sinon je ne sais par où commencer... Alors autant débuter là où j'en était au précédent post : au restaurant boulonnais, le Cap quelque chose. Une équipe essentiellement féminine, une bizarrerie en cuisine. Une brigade où l'on écoutait de la musique, du hard rock à la chanson française, où l'on dansait le zouk à l'heure du nettoyage. En plus de Sabrina, la chef, et du patron, Manu, elles furent trois à connaître "mon secret". Camille, la sous-chef, avait été en seconde dans le même lycée que moi; avant même que je sois embauché, lorsque la chef a recu mon C.V, elle s'est souvenu de Caroline C., mais d'aucun Eric... D'où, au final, la réaction "facile" de Sabrina, qui devait déjà s'en douter. Mais tout ça, Camille ne me l'a raconté qu'au bout de 2, 3 mois, sur les quais de Seine, parce que j'avais commencé à en parler. Charlotte aussi, chef de partie, était au courant depuis longtemps, par Sabrina, sansque je m'en doute; nous n'avons abordé le sujet que vers la fin de ma période au Cap et je n'en ai voulu ni à l'une, ni à l'autre car l'indiscrétion de l'une a été compensé par la discrétion de l'autre et qu'au final tout n'était que bonnes intentions.


Je ne peux pas m'empêcher de digresser ici, pour donner mon avis sur ce "secret", qui n'est pour moi qu'une particularité, qu'un élément de mon identité globale et que je ne cherche pas forcément à cacher.

Au contraire, non seulement je ne peux lier de liens amicaux sans dévoiler mon passé, parce que sinon cela me condamne aux mensonges, aux bricolages avec des faits originaux pour adapter mes expériences avec celles d'un mec bio, mais il m'arrive de faire mon coming-out comme ça, pour rien, avec une personne que je ne reverrais certainement jamais, ou qui ne compte pas beaucoup pour moi. Juste pour engager la conversation là-dessus et, peut-être, ouvrir de nouveaux horizons. Je ne peux compter le nombre de fois où l'on m'a dit "je ne m'en serais jamais douté", "c'est la première fois que j'en vois un en vrai"...

parce que pour le commun des mortel de ce pays, trans c'est la population du bois de Boulogne, les ladyboys thaïlandaises et les shemales sur les sites pornos; ça confond les genres (ignorant souvent l'existence des FtMs) et ça englobe les travestis dans le lot. Avec un peu de chances ils auront vu ou entendu parler d'une émission ou d'un film qui traite le sujet intelligemment, ou alors ils sont gays ou lesbiennes. Mais faire partie des LGB n'empêche pas toujours le rejet des T, on en a vu êtres les pires transphobes.

Serait-ce plus simple, les gens seraient-ils plus tolérants, la société moins transphobe si chacun pouvait identifier "trans" à une personne, plutôt qu'à un cliché ? C'était déjà le pari d'Harvey Milk, pour les gays, il y a trente ans. J'ai gardé en mémoire ce discours dans le film, où il enjoignaitses amis et partisans à faire leur coming-out auprès de leurs familles, de leurs amis, de leurs collègues, parce que leur cause ne pouvait avancer que si la population réalisait que les "homos" c'étaient en fait leur boulanger, leur avocat, le voisin d'à côté, le cousin germain... Un chemin qui reste à parcourir pour les trans. Pour moi qui me suis tellement éloigné du mouvement associatif et de la communauté trans, c'est un peu comme mon dernier acte militant.


- D'accord, et le lien avec tes collègues ?


Au final, qu'importe qui a appris quoi comment, j'étais heureux de ne pas être "dans le secret" justement et d'avoir pu discuter et répondre à leurs éventuelles interrogations. J'en venais à la troisième, Gwendoline, commis au garde-manger. C'est moi qui lui ai raconté. Pour tout ce que j'ai raconté auparavant, parce que j'avais envie d'être honnête avec elle, parce qu'elle me plaisait et que de sa réaction dépendait... Quoique je ne savais pas forcément à ce moment là ce que je ressentais pour elle. Mais qu'importe, rien que pour cette raison je lui aurait annoncé tôt ou tard.

Je peux énoncer tous les arguments pour expliquer ma démission du Cap, en mars, que le bateau allait de toute façon être abandonné par le capitaine et ses chefs de partie, donc ce ne serait plus la même cuisine, que l'offre d'emploi était une promotion, de nouvelles responsabilités et une liberté de création, la vérité c'est que je m'en tiens à règle simple et conne: pas de flirts, pas d'histoires en entreprise. Le moins possible. Sinon c'est les cancans, c'est les prises de têtes qui viennent vous chercher jusqu'au travail, j'ai déjà donné merci. Alors quand un dimanche soir Sabrina m'appelle pour lui proposer de partir avec elle dans un petit bistrot du 17ème, et que le lendemain Gwen m'apprenait qu'elle avait rompu avec son copain, ce fut comme 1+2=3, une évidence: je démissionne et tente ma chance avec elle.

Ce fut un ascenseur émotionnel, une fille qui est capable de tout donner et tout reprendre très vite, dire que tu représente l'homme idéal et le prouver, pour te larguer par tchat facebook un mois plus tard... Une très belle expérience, un souvenir doux-amer.

La durée de cette histoire correspond à mon passage à l'Ampoule (le nom a été déformé), bistrot où j'officiais donc en cuisine avec Sabrina, plus l'apprenti Geffrey, deux filles s'occupant dela salle. Une ambiance familiale, décontractée, où l'on ouvrait quelque fois une bouteille de vin pour le repas du personnel et où d'anciens employés passait le vendredi soir pour prendre un verre. J'en fais parti désormais. J'y suis resté un peu plus d'un mois, à peine, le temps de réaliser que le patron, qui gérait plusieurs restaurants, ne jouait pas franc jeu avec nous. Sabrina voulait démissionner tôt ou tard, j'ai choisi le plus tôt possible, y voyant l'opportunité de prendre de grandes vacances me permettant de retourner au Sénégal voir ma soeur et sa famille.

Et me voilà donc en mai 2009, un voyage d'un mois à travers le

Sénégal et le Cap Vert. Le festival de jazz de Saint-Louis en solo, puis ma meilleure amie m'a rejoint à Dakar et nous sommes partis une semaine en vadrouille dans le Sénégal Oriental, retour via le Sine-Saloum et le village des coquillages, puis retour sur Dakar, visite de l'Ile de Gorée et journée au Lac Rose. Aurélie rentra en France puis... (extrait du journal de ma soeur, Taï c'est moi:) "Alors que Taï lit le guide sur le Cap Vert, il découvre qu’il lui faut un visa, information que son agence de voyage a omis de lui transmettre. Il est 13h, l’ambassade est ouverte jusqu’à15h, il n’y a qu’à y aller immédiatement sur place. Nous vérifions au téléphone : le service des demandes de visa ferme à 12h … Il faudra y aller demain mais quand récupérer le visa ? L’ambassade sera fermée le samedi et lundi il sera trop tard. Je rassure Taï en lui disant qu’en Afrique tout est possible.

[Le lendemain] En allant à l’ambassade travailler, je dépose Taï afin qu’il s’occupe de son visa. En milieu de matinée, les nouvelles sont bonnes : contre une somme de plus de $100 et des photos à aller faire, le visa pourra être délivré le jour même. Puis cela se gâte : le passeport dit sexe féminin et Taï ne ressemble pas à une fille du tout. Les officiers consulaires demandent davantage de papiers. On joint le bureau de maman à Paris afin de faxer lesdits papiers. Le consul m’appelle personnellement ! Puis oublie de transmettre un message à Taï. On perd une bonne heure à s’attendre, le fax ne fonctionne pas, le tout au milieu de mon propre travail très prenant puisque je pars une semaine [...]. Moi qui voulais partir du bureau vers 11h, je ne peux décoller qu’à 15h ! Quand je récupère Taï, un nouveau problème a émergé : il faut être vacciné contre la fièvre jaune. Il l’est puisqu’il est déjà venu au Sénégal et que le vaccin dure dix ans mais il a oublié son carnet de santé pour le prouver."

De mon point de vue, cette matinée à l'Ambassade du Cap vert fut interminable. Remplir les papiers, trouver où me faire faire des photos d'identités dans ce quartier de Dakar que je ne connaissais pas, attendre deux heures plongé dans mon bouquin, au point de ne pas entendre, de ne pas comprendre cet appel "Caroliné, Caroliné" dans un espèce d'accent afro-portuguais, mais lorsque toute la salle d'attente me regarde je réalise qu'il s'agit de moi. Je me rends au bureau et l'on me dit que Mme la consul souhaiterait me voir, qu'il y a un problème avec mon passeport. Mme la Consul m'explique dans un français impeccable bien qu'hésitant, elle s'en est excusé plusieurs fois, que le passeport avec ce prénom et un F ça colle pas avec le jeune homme barbu qu'elle a en face d'elle. Et moi de lui expliquer la situation. Elle me demande si j'ai des papiers officiels qui l'atteste, je lui réponds oui, mais pas sur moi. Les douanes ne me laisseront pas passer. Mais si, mais si, j'argumente en racontant toutes les frontières que j'ai déjà traversé sans rencontrer de problème. Elle reclame des justificatifs. Je ne peux pas, je ne les ai pas, n'ai pas le temps de les lui apporter avant la fermeture du consulat (13h, mais j'y suis resté jusqu'à 15 finalement). Pourquoi ne pas avertir les douanes et je m'expliquerais à l'aéroport. Au pire, il n'y a qu'à vérifier, pas besoin de papiers, ma transsexualité est écrite noir sur blanc sur mon corps, en sexe et en cicatrices. Je n'ai pas proposé de me foutre à poil dans son bureau, mais presque. Sauf que ça n'aurait servi à rien, je sais bien que le document officiel, la paperasse c'est l'alpha et l'omega du système administratif. Alors j'ai appelé Cathy, puis mes parents à Paris. Je ne sais plus ce qu'ils ont dégoté au final, un compte-rendu d'opération, une lettre de mon psy ?

Je l'ai eu mon visa, et le problème du vaccin de la fièvre jaune a attendu mon retour du Cap Vert au Sénégal pour me tomber dessus, à l'aéroport de Dakar. Pas de vaccin ? Pas de problème, pour 10 000 CFA on te délivre un carnet de santé international, tout neuf. Avec Caroline, mon nom de famille écorché, et un M coché dessus. Classe.

"Caroline ? C'est vraiment votre prénom ?" "Oui", et les trois controleurs de passeport, avant la remise des bagages, qui se mettent à glousser. Même question, même réponse, et la vendeuse du tabac duty-free me dit avec un grand sourire que c'est drôle, au Sénégal ils ont pas mal de filles portant des noms d'hommes, parce que la tradition exige que si le père meurt lorsque la femme est enceinte, l'enfant à naitre prendra son prénom, quelque soit son sexe (bien sûr l'inverse ne marche pas si la mère meurt en couche, elle a fait son boulot), mais qu'elle n'avais jamais vu un cas comme moi, d'où ça vient ? Je lui réponds que mes parents aurait sûrement préféré une fille à ma naissance...

Parfois il n'y a pas de question: un regard sur moi, un regard sur le passeport, puis il revient vers moi, puis vers le passeport... Et sans un mot, la fille se tire du guichet. Après Cathy m'expliquera qu'elle est allé à la borne biométrique. Le seul lecteur pour les passeports biométriques de tout l'aéroport de Dakar. À n'utiliser qu'en cas de sérieux doute, donc. Elle revient, dix minutes plus tard, et commence l'enregistrement des bagages...


- Toi qui te vantais d'avoir voyagé à l'étranger à 5 reprises sans avoir jamais eu d'incidents...


J'aurais mieux fait de me taire. On ajoute à ça presque deux jours en cumulation de retard de vol dans ce périple, des bagages qui ne parviennent pas à destination, on peut dire que j'ai été choyé.

Enfin bref, après un mois au soleil, je suis parti directement dans le froid des alpes françaises et italiennes pour un rallye d'anciennes voitures avec mon père.

Ensuite est venu le temps des Solidays; j'avais déjà été bénévole l'année dernière, et enthousiasmé par l'expérience j'ai réitéré, en m'engageant aussi pour le montage et le démontage des installations. J'ai vécu, parlé, respiré Solidays pendant près de trois semaines !

À nouveau une petite digression pour parler cette fois-ci du regard des gens sur les cicatrices que j'ai sur le torse. J'y pense parce que la première fois que je me suis mis torse nu en public, c'était aux Solidays 2008, et cette année je tombais le t-shirt bénévole dès que je n'étais plus en fonction (je faisais le ramassage des détritus). Avant mon opération, je savais que je garderais des cicatrices, si possible esthétiques, mais en tout cas visibles. Je pensais que l'on me regarderait le torse avec cet air d'inquisition, ce regard qui t'évalue de la tête au pied pour considérer si tu es un garçon ou une fille, qui cherche des indices, qui m'a poursuivi à une époque... Mais je m'en foutrais, parce que je serais heureux, et fier. Finalement, que ce soit sur la plage, dans le parc, en concert, ... ce sont les gens qui s'en foutent. Très peu de regards insistants, le passant lambda manifeste une certaine indifférence ou ne remarque rien. Tant mieux.

Au début, je me disais que j'aurais toujours la possibilité de faire réduire mes cicatrices au laser, maintenant je ne l'envisage plus une seconde. C'est comme un tatouage, une scarification, un souvenir inscrit dans la peau...


La parenthèse est close, j'en étais où ?


- Après les Solidays...


Bah rien. La glandatitude absolu pendant deux semaines. Histoire de récupérer. J'ai vaguement recherché du taf, eu un entretien d'embauche d'une heure et demi non-concluant (le premier de ma vie, en passant).

Et puis Sabrina m'a appelé. Elle travaillait désormais en tant que seconde dans un hôtel**** près du Louvre et ils cherchaient encore du monde. J'y ai commencé fin juillet et me senti vite comme un poisson dans l'eau, l'hôtellerie est vraiment un univers différent de la simple restauration et c'est là que j'ai fait ma meilleure expérience, donc j'ai rapidement trouvé mes marques. J'y suis encore et espère y rester un an. Ensuite...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Félicitation !

Sache que je te suis depuis tes débuts !

Un parcours du combattant, on peux dire que tu as fait ton combat de militaire a ta façon, un grand dans un corp de petit lol !

Calimero a dit…

Salut Eric !

C'est Calimero. J'ai été bien content d'avoir la surprise de te rencontrer aux solidays ;)

Et là ça fait plaisir de lire tes deux derniers posts ! (Oui je ne les découvre que maintenant.)

Et oui, ça fait bizarre de regarder en arrière, non ? Tu en as parcouru du chemin quand même, petit mais costaud !

Allez bonne continuation, et n'oublie pas de poster des news du TGI par la suite, hein ;)
à+
Calim