9.6.09

Enfin, je me suis dit qu'il était temps que je mette à jour ce blog... J'ai réalisé qu'il était devenu ma mémoire, et nombre de fois je me suis retrouvé à raconter une anecdote personnelle et de poursuivre : "je ne me souviens plus des détails, mais je les ai écrit quelque part..." ici. Je ne sais s'il reste quelques fidèles lecteurs qui persistent à visiter cette page en espérant un nouveau message, et je m'en fous; me remettre à écrire pour moi-même, en premier lieu, décrire au mieux ma vie actuelle, pour retrouver ces souvenirs plus tard, tel est le but. 


Reste que je ne sais par où commencer pour parler de ma transition, surtout ayant l'impression qu'elle est déjà terminée. Je sais que les changements majeurs - qu'ils soient mentaux, physiques, chirurgicaux... - qui ont fait la métamorphose de Caroline en Éric sont derrière moi. Ce qu'il me reste à faire, l'hystérectomie et le changement d'identité, ne sont que procédure et formalité.


L'hystérectomie ne me changera pas physiquement, juste une cicatrice de plus. J'ai longtemps réfléchi aux probables impacts psychologiques que cette opération pouvait avoir, j'ai même pensé à l'éventualité que peut-être, dans quelques années, je pourrais regretter être stérile. C'est une opération dont je ne ressens pas la nécessité, alors j'ai pesé le pour et le contre et me suis décidé. Il y a, quoi ?, 3 mois maintenant, j'ai pris rendez-vous avec mon généraliste, qui m'a envoyé vers un chirurgien à Boulogne, qui m'a renvoyé vers une clinique ou Foch.... Bref, je vais m'adresser maintenant à un chirurgien "testé et approuvé" par d'autres ftms, avec qui j'ai rendez-vous le 24 juin.... Voilà, je me suis lancé, j'avance doucement, mais sans urgence. 


Pour le changement d'identité, là aussi je ne ressens aucune urgence ni nécessité absolu. Je suis conscient que cela me facilitera bien des démarches, mais actuellement je fais avec, avec ces papiers au nom de Caroline C., et je m'y suis habitué. Evidemment, j'ai travaillé pendant un an et des poussières dans un hôtel où aucun de mes collègues ou de mes supérieurs direct n'avait connaissance de mon identité féminine - ceux qui savent se comptent sur les doigts d'une main, et ne m'ont jamais causé problème -, donc cela a simplifié la situation dans ma vie professionnel. 

Mais même en dehors, lors des maintes occasions qu'offre la vie d'avoir à prouver son identité officielle, lorsque les flics m'arrêtent en scooter par exemple - c'est le plus récurrent ces derniers mois -, je fais avec. 

Ils me demandent mes papiers, puis étonné vérifient: "vous vous appelez comment ?" "Caroline C.", et je réponds aisément, simplement, comme dans un jeu de rôle. Sans un petit pincement au coeur, sans même cette fureur intérieure contre ces situations qui m'obligent à me "démasquer",  et qui m'habitait il y a deux ou trois ans... Et je m'amuse des différentes réactions, du flic qui ne bouge pas d'un cil mais l'on sent une intense réflexion sous son képi, à celui qui tente de me piéger : "Votre date de naissance ? Et OÙ êtes vous né(e) ? ... Et votre adresse ?..... Mais vous vous appelez vraiment Caroline ?..........Mais vous êtes une Dame ?" J'ai retenu un fou rire. Oui, je suis une dame. 




Puisque j'en suis aux anecdotes, j'en ai une bonne compile, toutes arrivées en l'espace d'une nuit, ou plutôt une matinée où je me suis fait coincé un peu trop ivre pour conduire. Version amélioré du contrôle des gendarmes avec le ballon, là on passait directement dans la camionnette de police avec l'hétylomètre, et avant même de souffler je savais que ce serait mauvais... Pas au point d'être embarqué ! Déjà dans la camionnette j'ai dû bien évidemment donner mes papiers d'identité, signer une espèce de reconnaissance d'infraction, tout cela sans remous. On m'a juste demandé confirmation de mon prénom, et puis j'ai entendu derrière moi cette réplique que je connaissais déjà : "tiens je ne savais pas que c'était un prénom mixte !". Embarqué, donc, en voiture avec deux policiers provinciaux perdus dans Paris, qui se trompent de commissariat pour me déposer, ce qui m'a laissé le temps de m'assoupir dans la voiture. Ils me confient finalement au flics d'un commissariat près de Place de Clichy, et je retrouve dans la "salle d'attente" des détenus des prédécesseurs, chopés comme moi dans la camionnette à Opéra. On me demande de confirmer mon identité, si je suis une "madame", je réponds oui et m'endors sur un banc. 

Je suis réveillé et amené dans une pièce close où une femme, visiblement gêné, me demande de vider mes poches, d'enlever ceinture et lacet, puis de me mettre en caleçon et de retourner mes chaussettes. Elle a vérifié toutes mes poches et rendu mes fringues, puis suis retourné sur le banc mais cette fois-ci menotté à son pied... Ce qui ne ne m'a pas empêché de me rallonger et de fermer les yeux, jusqu'à ce que j'entende que l'on parle de moi : deux flics, un homme et une femme, au fond de la salle, qui disait : "non j'te crois pas..." "mais si, c'est une madame ! Regarde sa fiche, ya "Mme Caroline C."...."...Je les ai coupé : "S'il-vous-plait, c'est Mademoiselle !". Et ai pu enfin me rendormir ! Jusqu'à ce qu'on me réveille pour m'emmener à l'hôpital, afin d'être examiné et déclaré apte à entrer en cellule de dégrisement. Une sympathique balade en camionnette, les mains menottées dans le dos et tenant mon pantalon dépourvu de sa ceinture, deux flics pour m'accompagner, une adorable jeunette et un beauf fini à 25 ans, des docteurs attentionnés mais débordés de soûlards ramassé dans la nuit et amené ici... Et me voici de retour au commissariat, amené dans une cellule de dégrisement nauséabonde (une couche de bébé usagée traîne dans un coin), au côté d'une clocharde qui s'éveille dans un râle de mort et me demande : "t'as pas une clope ?" "Bah non, ils m'ont tout pris".. Et se rendors aussi sec. Je m'installe un matelas à terre et en fait de même. On revient me chercher pour écrire les premières pages de mon casier judiciaire:  un grand black me ramène dans la pièce close où je me suis déshabillé. Il me demande confirmation de mon identité, m'interroge : "et tu t'es fait opéré ?" "Seulement du torse"...Il conclut : "Bon alors on reste sur Caroline." Il a pris en photo la cicatrice qui dessine mon torse, puis m'a pris de face ("je peux sourire ?" "Si tu en as envie !"), de profil et de trois-quarts (pour chaque position, je ne sais quel beauf de flic, encore un, a collé des photos de femmes dénudées précisément là où devait se poser le regard !). Une fois mes empreintes enregistrées, ainsi que différentes informations sur ma famille, je suis retourné en cellule. Et ai remarqué cette fois-ci celle d'à côté, remplie de trois hommes à la mine patibulaire, et ai réalisé que bien évidemment j'étais dans la cellule des femmes. D'où la couche puante. Mais cela ne semblait pas étonner la clocharde qui se réveillait pourtant à chacune de mes allers-et-venues et m'adressait quelques paroles à chaque fois. Pour la énième et dernière fois, on me réveilla, pour me monter à l'étage supérieur, dans les bureau, pour finaliser la paperasse... J'ai répété encore une fois mon nom, mon prénom, ma profession, mon adresse, les noms et prénoms de mes parents et autres détails à ce fonctionnaire d'une trentaine d'année qui, à la fin de l'entretien, m'a sorti : "Vous allez pouvoir rentrez chez vous. Que cela vous serves de leçon, jeune homme !"... Un temps d'arrêt puis "Vous voyez, on vous considère déjà comme un garçon !". 

Je suis sorti du commissariat complètement hagard à cause de la fatigue, et en errant à pied dans les rues, de Place de Clichy à Opéra où mon scooter avait été laissé, j'ai réalisé que même en ayant connaissance de mon statut de "madame", personne ne m'a parlé au féminin, et ce pas seulement cette nuit là, mais depuis un bon bout de temps. 

Depuis que j'ai pris une apparence tout à fait masculine, je suis parti en Angleterre, en Finlande, aux Etats-Unis, au Sénégal, sans jamais rencontrer de problèmes aux douanes. D'ailleurs, parlant de voyages, tous les employés de l'agence Thomas C. (pour pas faire de pub...) par qui je passe (depuis la plus petite enfance, par le biais de mes parents) pour la plupart de mes réservations de train, d'avion ou d'hôtel, connaissent la règle : Eric C. pour la France, sauf quand je prends des réducs SNCF 15-25 ans auquel cas il me faut mon identité officielle sur les billets, et Caroline C. pour le reste du monde. Les (rares) fois où j'ai dû présenter ma carte d'identité pour rentrer en boîte, régler par chèque... aucun problème. 


Non, vraiment, je ne ressens pas la nécessité de changer mes papiers d'identité au plus vite, donc pas d'urgence pour l'hysté, et cela explique un an et demi de pause dans ma transition, alors que j'ai pas mal d'exemples d'autres trans qui, quand ils le peuvent, enchaînent toutes les étapes du parcours. L'autre explication s'appelle la flemmingite aiguë, une maladie récurrente et incurable dont je suis douloureusement atteint. 


Ce message n'est forcément pas terminé, je me suis égaré dans les souvenirs d'une nuit au poste... Mais trop content d'en avoir écrit autant, et redoutant une autre attaque de flemmingite qui m'empêcherait d'écrire la suite un jour prochain, je me décide à le poster tel quel. 


Et, "toi-même tu sais", il y aurait tant de choses à dire encore...