18.12.06

En résumé

Il y a des périodes - semaines, mois voir année - où je me sens plus spectateur qu'acteur de ma vie... L'impression que le déroulement de mon existence est réglée comme du papier musique... Comme si la mécanique était trop bien huilée, qu'il n'y avait plus besoin de moi pour la faire fonctionner. Il y a des périodes déprimantes où je fais le dos rond en attendant que le temps passe et me permette d'oublier ce qui me tracasse. C'est un peu tout cela en ce moment, et c'est pourquoi j'ai un peu déserté mon blog ces derniers temps. Alors voilà, cela fait plus d'un mois que je n'ai rien écrit, et je ne sais par où commencer.

Peut-être par le côté purement médical, le plus simple à raconter : il y a 2 semaines, le 5 décembre, j'avais rendez-vous avec mon endocrino. Cela fesait 3 mois que je me fesait injecter une demi ampoule d'Androtardyl, et j'aurais dû augmenter d'un quart. En fait, selon mes analyses, mon taux de testostérone est déjà dans la norme masculine, donc mon traitement ne bougera plus. Elle a donc renouvelé pour 6 mois mon ordonnance, mais constatant l'absence de pilosité faciale, elle a ajouté une application locale de gel (Andractim). Le problème, c'est que je prenais en parallèle un traitement contre l'acné dû à cette nouvelle puberté et l'association des deux (ou plutôt des trois: Andractim+Différine+Euryfluid) a eu un résultat plus que douteux. Bref, je fais l'impasse sur ces traitements locaux en attendant de trouver une solution... À noter, son étonnement quant à l'apparition de ma pomme d'Adam, j'ignore d'ailleurs si cela est fréquent chez les ftms.
Pas grand chose à rajouter sur les effets du traitements par rapports à mes précédents posts: ma voix s'est stabilisée, les veines de mes avant-bras deviennent plus saillantes, mes mains se sont épaissies, ma musculature continue de se développer... Mais il est difficile d'apprécier les changements lorsque l'on se voit tous les jours dans le miroir.

Niveau juridique: je ne sais plus si j'ai mentionné le fait que la notaire que j'avais contacté a finalement refusé de me faire un acte notarié. Suite à cela, ma mère m'a permis de contacter Me F., l'avocat de la famille, qui a décidé d'entamer une procédure de changement de prénom... J'ai profité de l'occasion pour réfléchir sérieusement au remplacement de mes 2ème et 3ème prénoms, sachant que l'un fait référence à mes origines vietnamiennes et l'autre espagnoles, et en parler avec elle. J'avais pensé à Esteban pour le 3ème, mais cela ne lui plaisait pas vraiment. Bref, on a finalement arrêté nos choix et me voilà rebaptisé Eric Tai Juan. Difficile de faire plus court! Il ne me reste plus qu'à fournir les témoignages de personnes certifiant me connaître sous le nom d'Eric pour que mon dossier soit complet. Bon, ce genre d'affaire peut prendre des mois voir plus d'un an avant d'aboutir, mais ne serait-ce que d'avoir la lettre indiquant qu'une procédure est en cours me facilite quelques démarches (aller chercher un courrier à la poste, passer mes examens...).

Ecole et entreprise : J'ai été assez déçu d'apprendre par Sandra et Guillemette, les deux filles à qui j'ai fait mon "coming-out inversé", que toute la classe était au courant de ma situation, et ce depuis un bon mois. J'aurais préféré garder le mystère un peu plus longtemps... En fait, ce qui m'a plutôt énervé, c'est la façon dont cela s'est produite: mon binôme, le mec qui bosse dans le même resto que moi (il est à l'école quand je suis en entreprise et inversement), a trouvé le moyen de raconter ma vie à quelqu'un qui l'a dit à quelqu'un qui... Et le bruit s'est propagé dans ma classe. Le côté positif de la chose, c'est que cette donnée n'a rien changé pour mes camarades; ni remarques, ni lapsus, aucun changement de comportement à mon égard, que dalle. C'est surprenant. Voir même encourageant en ce qui concerne l'évolution des mentalités... Pour le moment, ils ne savent pas que je sais qu'ils savent (^^), et c'est très bien ainsi. Même si ce n'est plus vraiment un secret, je ne tiens pas à en parler avec eux.
N'empêche que je trouve très salop de la part de mon binôme d'avoir divulgué cette information; heureusement que je ne le vois qu'en période de vacances scolaires, lorsqu'on travaille tout deux au restaurant, j'ai ainsi le temps de digérer... En parlant de restau, ça se passe plutôt mieux. Il me semble que certaines personnes commencent -seulement- à integrer Eric=il, je suis parfois même étonné du naturel avec lequel ils associent ces deux vocables ! Des jours où je me dis qu'aucune situation n'est désespérée...

Quid de la famille? Passons sur ma mère, qui a déjà fait l'objet d'un post rien qu'à elle... Quoique, il me parait important d'ajouter un progrès en cours: la multiplication des appellations masculines me concernant. Ca fait toujours plaisir de recevoir des messages commençant par "mon petit chéri" :)...
Mon frère également commence à accorder certains qualificatifs au masculin, et je ne sais si c'est un acte réflechi ou une forme de lapsus qui deviendrait progressivement un automatisme de sa part, mais ce fut un soulagement lorsque je l'ai remarqué. Je peux, à présent, sérieusement espérer que viendra le jour où cela sera devenu une habitude, et cela m'épargne de lui demander de faire un effort... Je ne sais exactement pourquoi je me refusais à lui imposer ainsi l'identité que je suis en train de me construire, contrairement à ce que je peux faire avec mes parents. Ce sont pas les mêmes rapports: eux ont placés de nombreux désirs et espoirs en moi, qui sait tout ce qu'ils ont pu projeter pour mon avenir en me voyant grandir... C'est cette image idéalisée de moi qu'il me faut déconstruire pour être accepté tel que je suis réellement, et leur forcer un peu la main et le seul moyen que j'ai trouvé pour cela. Le lien fraternel est forcément différent et me pousse à préferer que de sa part, tout vienne naturellement, comme un consentement tacite à ce que je deviens. Ou même une résignation...
Je ne pense pas avoir déjà parlé de lui içi. Saviez-vous seulement que j'ai un frère? Il a 22 ans, et sans lui je ne serais pas exactement le même aujourd'hui... Comme beaucoup de grands frères, c'était un modèle, il me fallait faire tout comme lui et si possible mieux que lui (pour le meilleur et pour le pire d'ailleurs !). Il m'a appris à manger (précisons: à me servir de mes couverts) et à écrire (tenir mon stylo plume), deux choses essentielles dans ma vie: si ça se trouve, un autre frère et je n'aurais pas été cuisinier ni n'aurait tenu ce blog... Bon, j'extrapole peut-être un peu !
Parce que je n'ai pas grandi avec elle et qu'elle a bien le double de mon âge, la relation que j'ai avec ma soeur est incomparable à celle qui me lie à mon frère. En "vrai", ma demi-soeur, par ma mère, et également ma maraine; je ne sais plus à quel âge on m'a expliqué simplement que parain et maraine étaient là pour remplacer comme ils pouvaient père et mère s'ils venaient à disparaitre, mais j'avais pris cela très au sérieux ! Soeur pour ma vérité personnelle et mère remplaçante dans ma conception enfantine de l'organigramme familial, forcément quelqu'un de très important pour moi... C'est la première personne de la famille à qui j'ai avoué que j'étais trans. Après avoir manifesté une certaine désaprobation, je crois qu'elle a fini par se résigner à accepter. Ce qui m'embête c'est qu'elle se prépare actuellement à déménager aux Etats-Unis, et comment fera-t-elle pour s'habituer à son nouveau petit frère si on ne se voit plus? Mais surtout, et ça n'a rien à voir, ça m'attriste de penser que je ne verrais plus mes neveux grandir ! Ma seule crainte est que ma nièce ne devienne le stéréotype de la pom-pom girl américaine :p, mais pour pour en revenir au sujet du blog, en ce qui les concerne, on dirait qu'ils ont déjà integré ma nouvelle identité: ma mère m'a rapporté qu'ils lui ont parlé de moi en tant qu'Eric !
Ce n'est pas le meilleur pour la fin, au contraire... Mon père a toujours du mal à encaisser, il commence à peine à en parler avec ses amis, jamais sans émotions, souvent avec quelques larmes... C'est un début, le début d'un très très long cheminement...

J'ai l'impression d'avoir tapé un pavé, pas le courage de me relire ni de détailler pour la fin, et en même temps il n'y a plus grand chose à raconter:
- Le moral connait des hauts et des bas, mais comme mes états d'âme actuels n'ont qu'un lien très infime avec ma transition, il me parait déplacé de les exposer içi. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter, je touche plus souvent les nuages que le marécage de mes tourments et autres contrariétés, et ce surtout grâce à...
- côté coeur (non je ne recopie pas un horoscope! ): ai-je déjà été si heureux en couple? J'en doute. Il me semble que je me suis rarement senti aussi bien avec elle que ces derniers mois, et -cela a peut-être un rapport- je sais que je n'ai jamais été autant amoureux...